Session 3

Session 3 :  Opacité des instruments scientifiques et conséquences épistémologiques

Mercredi 20- décembre 9h30 – 13h

Imagine-t-on Galilée étant obligé d’utiliser une lunette d’observation acquise sur le marché qu’il n’aurait ni le droit ni la possibilité effective d’étudier, d’analyser, de formaliser et de modifier en vue d’expérimenter selon ses thèses et hypothèses ? Un tel état de fait aurait évidemment fait obstruction à l’avènement de la physique et de la science modernes. C’est pourtant ce qui paraît caractériser la science contemporaine, au point qu’il n’est pas illégitime de se demander dans quelle mesure on peut encore concevoir une unité de la science – cependant que l’Europe semble tout à fait dépassée par ce qui constitue évidemment un enjeu majeur dans une compétition pour le pouvoir sur les savoirs, et à travers les instruments et leurs capacités prescriptrices cachées.

 

 

Intervenants

 

Vincent Bontems, épistémologie (CEA)

Boite noire vs boite noire. Lutter contre l’opacité épistémologique

L’opacité épistémologique peut trouver sa source dans de nombreux facteurs théoriques, techniques, organisationnels et sociaux de la recherche. Dès lors qu’une opération modifie l’information sans être elle-même objectivable, elle constitue une boite noire susceptible de faire obstacle à l’éclairage épistémologique mais surtout d’affaiblir l’indépendance du champ scientifique, voire la fiabilité même des résultats. Dans le cadre du projet Episteme, j’ai entrepris avec mon collègue du CEA, l’astrophysicien Vincent Minier, d’élucider non seulement le fonctionnement phénoménotechnique des instruments de l’observatoire spatial Herschel mais aussi d’enquêter sur le fonctionnement du “segment sol” qui lui est associé. Grâce à notre partenariat avec Yannick Prié et Florian Melki de l’université de Nantes, nous avons pu retracer et visualiser les étapes et les évolutions du traitement algorithmique des données depuis leur programmation jusqu’à la constitution des images destinées à la publication. Notre stratégie a donc consisté à mettre en place une autre forme de “boite noire”, celle qui assure la persistance des traces de l’élaboration du savoir et des manifestations de l’inventivité.

Cédric Mattews, biologie (CNRS)

La boite noire comme lieu de développement du narcissisme numérique. 

La biologie du XXIe c’est-à-dire l’étude numérique du vivant repose sur la numérisation de l’objet biologique où l’unité d’analyse en imagerie est le pixel image qui hérite des propriétés biologiques révélées par l’instrument et plus généralement de toute la chaine d’acquisition et d’interprétation. Nous pourrions le nommer pixel vie, ou voxel vie dans sa forme tridimensionnelle, il est une approximation de ce qui est, car on le visualise et on le construit au travers d’instruments et d’algorithmes qui ne sont pas parfaits.  Les lois de la physique imposent une déformation de l’observation du vivant, toutefois il est possible de contourner les limites qu’elles imposent et de corriger les aberrations par le calcul. L’image devient alors le double support de construction du modèle de l’objet d’étude, d’une cellule, d’un organite, d’une machine moléculaire par les calculs de reconstruction du signal et par la confrontation au modèle numérique. La frontière entre l’animation qui constitue le dialogue de représentation aux imaginaires de tout un chacun et la simulation qui est le support de représentation du modèle physique, se réduit de plus en plus avec les techniques d’imagerie, leur mise en scène et leur accès direct sur l’instrument.  Le pixel vie devient alors le lieu de confusion de la construction de l’idée au sens de sa beauté que l’on se fait de son modèle d’étude, avec les lois de la physique qui le construisent. C’est à l’échelle du point pixel où se concentre l’information, que le biologiste doit sortir d’un effet de fixation, pour sortir du charme de l’image qui le pousse dans un Narcissisme numérique, pour retourner vers le modèle physique théorique mais qui peut être perturbé par l’existence d’un tiers numérique, la boite noire qui pourrait avoir d’autres effets.

Anaïs Nony, (Florida States University)

Intelligence digitale : allagmatique et axiologie des savoirs dans la société de la préemption

Interroger les mutations techniques de l’intelligence aujourd’hui passe par la question de la machine pensante, c’est à dire ce qui est doté de la capacité de déduire, d’induire et de transduire des rapports de valeurs. Les différentes valeurs (axiologie) et opérations (allagmatique) des plateformes digitales s’inscrivent dans un rapport temporel préemptif sur le savoir selon un agencement décisionnel prédicatif qui court-circuit l’entendement. Ce rapport préemptif du digital par rapport au réel a pour fonction de programmer les comportements, goûts, envies, projets et désir d’individus de plus en plus évidés de leur capacité décisionnelle et projective. Dans ce contexte, je proposerais de questionner l’organologie des savoirs d’un point de vue allagamatique et axiologique pour répondre au caractère dividuel, anxiogène et préemptif des plateformes digitales.

 

Maël Montévil, biologie (IRI)

Quelques opacités computationnelles: de la biologie aux décisions humaines

En biologie expérimentale et théorique, les approches computationnelles prennent une place croissante. Sur la base d’un exemple, j’aborderai les différentes étapes computationnelles entre l’échantillon et la discussion biologique. L’analyse morphométrique est traditionnellement effectuée  directement par un observateur, mais cette méthode est de plus en plus remplacée par l’utilisation d’algorithmes. Il est alors impératif de proposer une critique de ces approches computationnelle que j’esquisserait sur la base d’une comparaison entre ces deux méthodes.  Enfin, je montrerai que la notion de symétrie permet, au moins dans certains cas, d’aborder parallèlement ces questions épistémologiques  et des problèmes politiques dans l’utilisation des intelligences artificielles.

 

 

Vidéo Session 3