Session 4

Session 4 : À propos d’une « nouvelle révolution urbaine »

Mercredi 19 décembre – 9h30-12h30

Comme tous les autres secteurs économiques, les techniques du bâtiment, des travaux publics et de l’aménagement du territoire sont désormais reconfigurées par le processus d’hyperindustrialisation que provoque la numérisation. Cela affecte et affectera bien plus encore à l’avenir les conditions de la programmation urbaine, de la concertation, de la construction, de la gestion et des services, tout autant que l’économie urbaine en général et les politiques locales. Comment les habitants peuvent-ils s’approprier ces nouvelles dynamiques – pour ne pas s’en trouver exclus – et que permettent d’espérer les « communs urbains » ? Que nous apprend à cet égard la brève histoire des modèles d’organisation du travail spécifiquement issus de la « révolution numérique » ? Quelle nouvelle économie urbaine est-il possible de favoriser, et contre quelles tendances anthropiques (au sens où le GIEC parle d’« anthropogenic forcings ») doit-elle se mobiliser ? Comment repenser les ressources et leurs rapports aux localités ?

 

 

Intervenants

 

Olivier Landau (Institut de Recherche et d’Innovation, IRI)

Production et Urbanité

L’évolution des modes de production (moulins, manufactures, machine à vapeur,…) a de tous temps, transformé l’urbanité ;  mais ces transformations résultent aussi de choix d’organisations économiques fonctionnelles (corons), utopiques (phalanstères). Aujourd’hui, les  technologies numériques touchent toutes les filières industrielles et ainsi continuent à modifier en profondeur les modes de production quelque soit le secteur.  La prévalence de la conception sur la fabrication, induite par le numérique et la réticularisation de la planète, a d’ors et déjà créé de nouvelles urbanités telles que les villes usines de Foxcom. Vraisemblablement, ce n’est qu’une étape transitoire, la possible installation d’ « usines distribuées » (fablab, Techshop, Makery, Living Lab,…)  relocalisées à proximité du client/concepteur/fabricant, devrait reconfigurer en profondeur la ville. Le mode d’organisation de ces ateliers de proximité et la structure de leurs liens économiques avec la conception des marchandises produites, conduiront à des choix sociétaux et environnementaux fondamentaux pour l’avenir.

 

 

Raphaël Besson (Villes et Innovations)

Pour une biopolitiques des villes

Dans un contexte marqué par des mutations majeures (transformation de l’économie, changement climatique, révolution numérique, etc.), les villes se situent aux coeur des transitions. Ainsi, les modèles génériques de planification de villes durables, intelligentes ou créatives cèdent-ils le pas à un urbanisme tactique, éphémère et collaboratif. Les « starchitectes » et les ingénieurs semblent s’effacer au profit de collectifs, de « Makers » et de jardins partagés. Les habitants et les usagers se transforment en « citoyens contributeurs », le « soft » prend sa revanche sur le « hard ». Aux cadres juridiques publics et/ou privés se substitue et se construit une pensée des communs. Désormais, c’est l’ensemble de la vitalité urbaine qui est mobilisée dans la production de la ville. Cette production se diffuse bien au-delà des espaces et des acteurs traditionnels de la fabrique urbaine, pour investir non seulement la morphologie et les infrastructures urbaines, mais aussi l’organisation sociale et culturelle, les lieux de savoir, les espaces interstitiels, naturels ou vacants. Elle se diffuse dans l’ensemble de la société urbaine, la totalité des acteurs et des spécificités propres à la ville étant rendu productif. Progressivement, c’est le vivant qui devient le nouveau paradigme de cette fabrique urbaine et nous assistons à l’émergence d’une biopolitique des villes. C’est-à-dire une politique urbaine fondée sur l’observation, la mobilisation et l’intensification de la vie elle-même (qu’elle soit humaine, non humaine, sociale, culturelle ou encore végétale), dans la fabrique et le fonctionnement des villes.

 

 

Giorgio Griziotti et Hervé le Crosnier (Cognitive Factory et C&F Éditions)

« Neurocapitalisme » entre métropoles et traversées

Après la métropole, grande ville avec un centre unique et des banlieues larges et variées, qui n’annexent que de petites villes, nous assistons à la naissance des mégalopoles ou de giga-cités constituées par un conglomérat de plusieurs villes et métropoles.
Tokaido au Japon, qui réunit, entre autres, Tokyo, Yokohama et Chiba, est la plus grande mégalopole mondiale avec 34 millions d’habitants et un PIB de 2200 MLD$ équivalent à celui de la France. Ces giga-cités, comme Guandong (Canton-Hong Kong-Shenzen-Macao) une mégalopole chinoise en formation de 50 millions d’habitants, représentent déjà à elles seules des villes-états au sein de l’État-nation, qui reste à l’arrière-plan comme si c’était sa campagne.
Dans ce contexte, une profonde mutation anthropologique a eu lieu : les liens des appartenances (ouvrières, prolétariennes et de tout genre), qui avaient caractérisé le capitalisme industriel, ont lâché, nous mettant face au grand large où tout est possible. Une société des traversées qui semble constituée par des nomadismes existentiels, des dérives, des refus d’appartenance (ou l’on s’abrite dans les plus éphémères), cela parait dessiner le profil d’individus sans port d’attache dans la sphère biohypermédiatique, aux sens perpétuellement saturés, dans un espace constamment redéfini par des algorithmes et des automatismes conçus pour classer et valoriser des milliards de singularités et leurs pratiques. En effet la norme à l’intérieur de la mégalopole est celle d’une socialité générique et agrégative sans contact qui n’aboutit pas à une socialité communicative. Pratiquement on arrive l’apothéose de la foule solitaire.

 

 

Pierre Clergue (Institut de Recherche et d’Innovation, IRI)

Panser notre relation à la matière

Quel est le rôle de la matière dans l’Anthropocène ? Une critique possible est son rapport à sa transformation. Modeler de la matière (cause efficiente) est l’une des principales sources d’entropie biosphèrique dans le sens de la thermodynamique : une perte irréversible (à notre échelle temporelle) de
l’énergie. Bien que notre société thermo-indutrielle a apporté les bienfaits d’une énergie facilement accessible, elle a donc pu transformer facilement la matière. La ville industrielle s’est formée en verre et en acier comme le Crystal Palace puis en béton avec ses substituts du pétrole comme pour la plupart des bâtiments contemporains.
Aujourd’hui, dans l’époque de l’entropocène et sur la Terre se repose les questions archaïques « de boire, de manger et de s’abriter ». Alors comment panser dans l’urgence ce constat de la matière ? L’histoire des premières techniques montre leurs capacités à utiliser l’énergie sans la disperser. Notre
épreuve est alors de confronter les techniques archaïques locales et processus industriels contemporains avec leurs économies d’échelles afin de créer un consensus néguentropique. Une piste : les matières terres, socle des premières cités et de l’agriculture.

 

 

Vidéo Session 4