Session 1 : Introduction
Mardi 18 décembre – 9h30-10h30
Comme cela a été maintes fois souligné, de Jean-Pierre Vernant à Henri Lefèbvre en passant par Vere Gordon Childe, l’urbanisation, telle qu’elle s’engage au Néolithique, conduisant à la concentration de richesses autour de palais qui sont aussi des greniers, intensifie les relations sociales et fait apparaître des « technologies intellectuelles » (au sens de Jack Goody, comme écritures et systèmes de numération) qui engagent l’histoire citadine de l’intelligence individuelle et collective.
Que doit-on retenir de cette teneur foncièrement urbaine de l’intelligence collective qui aura caractérisé les temps proto-historiques et historiques ? Que devient cette forme de l’intelligence au moment où, tandis qu’une ceinture satellitaire permet désormais un contrôle planétaire par ce que Frank Pasquale (université du Maryland) a appelé les souverainetés fonctionnelles de plateformes assurant le contrôle dans ce que l’on appelle les « smart cities », et au moment où l’urbanisation accrue annoncée pour les prochaines décennies transforme la biosphère en technosphère cependant que l’Anthropocène requiert l’intelligence humaine comme jamais ?
Intervenants
Patrick Braouezec (Président de l’EPT Plaine Commune)
Introduction
Bernard Stiegler (Institut de Recherche et d’Innovation, IRI)
Efficience et finalité dans le nouveau génie urbain : principaux enjeux de la troisième révolution urbaine
Les lecteurs d’Ignace Meyerson, de Jean-Pierre Vernant, d’Henri Lefèbvre et d’Italo Calvino savent que ces auteurs considèrent l’avènement de la ville, polis, civitas,urbs, comme condition environnementale d’une nouvelle forme de l’intelligence – laquelle, pour Vernant comme pour Lefèbvre, est caractéristique de ce qui émergera dans la Grèce athénienne sous le nom de philosophie, elle-même génitrice de ce que nous appelons encore la science.
Or nous vivons une troisième révolution urbaine – avec celles du néolithique puis de la révolution industrielle – qui est aussi le contexte dans lequel émerge le storytelling des smart cities, et où la « ville connectée », qui est d’ailleurs foncièrement métropolitaine et conurbaine (soit comme métropole, soit comme petite ville liée à une métropole, soit comme conurbation), paraît bien plus souvent générer une bêtise artificielle (appelée aussi « post-vérité ») qu’une nouvelle intelligence urbaine.
On tentera dans cet exposé de montrer que la nouvelle révolution urbaine est bien porteuse d’une nouvelle ère de l’intelligence, qui doit être aussi celle d’une nouvelle économie, conçue avant tout comme valorisation du soin pris de soi, des autres et des lieux que l’on partage avec eux, de la cage d’escalier à la biosphère en totalité en passant apr les rues, les routes et les réseaux.
Cela nécessitera cependant de s’intéresser autant aux nouvelles techniques de construction et d’urban planning qu’à la question du pharmakon et de l’hypomnésis qu’est pour Socrate l’écriture, dont les technologies de connectivité, de modélisation, de calcul intensif et de scalabilité planétaire des plateformes sont les occurrences contemporaines.
On verra aussi pourquoi la conception d’un nouveau génie urbain devient concevable, qui distingue fondamentalement (mais sans les opposer) la métis qui constitue la forme efficiente de l’intelligence de la noésis telle que la constitue primordialement ce qu’Aristote appelait la cause finale – la finalité de l’économie étant ici, pour, nous, c’est à dire dans l’ère Anthropocène, de lutter contre l’Anthropie, et d’engendre l’ère urbaine (civilisée) du Néguanthropocène.