19 décembre
17h-18H30
Session 6 – Gestion des données, communs numériques et rôle des standards dans la nouvelle écologie du numérique
Comment le numérique, souvent pointé du doigt pour son impact environnemental à l’heure du fort développement des IA génératives, peut-il dessiner de nouveaux écosystèmes à même de mieux se réapproprier son « contexte » local et global ? Comment les standards ouverts et notamment le logiciel libre peuvent-ils constituer des espaces de capacitation, d’autonomie, d’invention et d’industrie ?
Intervenants :
Christophe Masutti (Framasoft) – La société de la contribution
Avec sa campagne Contributopia (2017-2022), Framasoft a proposé une vision du monde numérique où la conception des outils serait collective et contributrice. L’aventure Contributopia est aujourd’hui terminée, et nous avons compris que dans le monde du capitalisme de surveillance (ou plateformiste), il fallait inventer des formes alternatives de pratiques collectives et conviviales. Concrètes. C’est le thème du mouvement Coin-Coin de Framasoft (Collectivisons / Convivialisons Internet, 2023-2025). Favoriser la diversité des outils, en s’appuyant sur le logiciel libre, ne peut se faire sans outiller les collectifs qui sont en mesure de constituer une force d’émancipation. L’histoire de l’informatique nous l’apprend : de la vieille cybernétique à l’apprentissage automatique d’aujourd’hui, l’innovation numérique dans les processus de production est tellement puissante que le travail est devenu une variable de rentabilité et n’est plus production de valeur. Cette dernière est extraite de nos comportements sous influence, elle nous contraint à la fermeture de nos formats, à la sur-monétarisation de nos données, elle subordonne nos pratiques. La course à l’innovation numérique est une course à tendance monopoliste qui réduit la diversité productive. Lorsqu’elle s’accompagne d’une dynamique open-source, elle favorise aussi la création de richesses sur le dos des communs. Face aux politiques impuissantes, elles-mêmes subordonnées, le Libre est partie prenante d’une tactique, d’une _mètis_ qui permet d’émanciper les collectifs comme autant d’îlots archipellisés de pratiques et de créations de communs capables de préfigurer le monde numérique que nous voulons demain.
Olaf Avenati (ESAD de Reims) & Pierre-Antoine Chardel (IMT-BS / CNRS-EHESS)- Désalignement, design et nouvelles formes de la matérialité
Nous vivons actuellement un désalignement (Latour), une dissonance entre la société d’abondance d’objets et de services, relais des récits fatigués portés par la société de consommation, d’une part ; et d’autre part une nouvelle réalité, un nouveau monde, dont l’enjeu est la préservation de l’habitabilité de notre « spaceship earth » (Buckminster Fuller). Si nous semblons encore collectivement hésiter sur les chemins que nous voulons emprunter pour préserver cette habitabilité, nous voyons bien la nécessité d’établir un autre rapport au monde matériel. Mais nous peinons à élaborer et à diffuser des visions de cet avenir. Par ailleurs, les technologies numériques, particulièrement dans leurs derniers développements (outils accélérateurs/normalisateurs de la production et de l’interaction, déplacement du travail vers les IA génératives, adossement aux semi-finis de tiers) posent le récit d’un pouvoir d’agir dématérialisé, sans limites d’usage, radicalement transformateur et libérateur, et accessible à tous comme une commodité. Au plan de l’expérience esthétique, l’intégration discrète de ces technologies dans le quotidien, leur intuitivité, leur apparente quasi-gratuité sont perçus comme des qualités. Alors même que ces technologies nécessitent en réalité beaucoup d’efforts de conception, de matérialité et d’énergie pour obtenir cette apparente légèreté. A partir de là, il nous semble intéressant, utile, et même nécessaire, de tenter, par le design, de donner forme à un nouveau rapport à la matérialité, nourri à la fois par les connaissances scientifiques et empiriques, en posant l’hypothèse qu’un travail sur les formes peut proposer de nouvelles représentations et porter des récits régénérés. Intéressant, car ces explorations nous aident à mieux percevoir la complexité des faits dans le monde matériel qui nous entoure. Utile, car ces représentations qui dé-spécialisent, qui désenclavent les connaissances, peuvent servir de plateforme à une conversation plus ouverte à l’ensemble des parties prenantes. Nécessaire, peut-être, en ce qu’elle pourraient constituer, par accumulation du déjà-là, les grains encore épars d’une force de basculement des représentations pour déplacer l’imaginaire sociétal et aider à l’aligner avec la matérialité du monde vivant.