Session 1 : Vers une nouvelle informatique théorique : de l’information à l’exosomatisation, enjeux philosophiques, économiques et politiques
Mardi 22 décembre – 9h30-12h30
La théorie de la calculabilité, la cybernétique et le cognitivisme auquel elle a donné lieu se fondent sur une notion problématique d’information, qui rend possible des analogies entre les machines et le vivant d’une part, et entre les ordinateurs et le cerveau et l’esprit d’autre part, les uns et les autres étant compris comme des processus de traitement d’informations. Or, la réinscription de la machine et de l’ordinateur dans l’histoire des techniques, donc dans l’évolution exosomatique du vivant, implique un changement de paradigme théorique : loin de constituer des modèles du vivant ou de la pensée, les machines et les ordinateurs constituent des produits de la vie technique dans lesquels s’extériorisent des fonctions vitales et noétiques, qui évoluent donc avec les systèmes d’écriture et de calcul. Dès lors, la question qui se pose est moins celle des performances desdites « intelligences artificielles », que celle de la transformation des différents types de savoirs dans les milieux digitaux, et en particulier, celle de l’avenir des capacités de délibérer, de raisonner et de décider, qui sont au fondement de la vie politique, mais qui semblent aujourd’hui menacées par une automatisation numérique soumise à l’efficience des algorithmes et à l’hégémonie du marché.
Interventions :
Anne Alombert – Université Catholique de Lille
De l’intelligence artificielle à l’organologie de l’esprit : peanser l’exosomatisation de la noèse à l’époque du “screen new deal”
Dans ses derniers travaux, Bernard Stiegler proposait une critique des théories qui sont au fondement de l’informatique, à savoir la théorie de l’information et le cognitivisme. La notion d’information est selon lui problématique dans la mesure où elle est traditionnellement comprise à travers une opposition entre le logiciel (software) et le matériel (hardware), qui présuppose une indépendance entre le signal informationnel et ses supports matériels, là où, selon Bernard Stiegler, les supports matériels constituent, affectent et transforment toujours la signification même de l’information transmise. La notion de cognition était selon lui problématique pour les mêmes raisons : la connaissance ou le savoir ne peuvent pas être réduits à la cognition, dans la mesure où ils impliquent toujours des supports artefactuels, à la fois pour se constituer, pour se transmettre et pour se transformer.
La connaissance, autrement dit, n’a pas lieu dans le cerveau ou dans l’esprit d’un sujet cognitif, mais entre les cerveaux de différents individus psychiques, qui entrent en relation grâce à des supports hypomnésiques et qui s’individuent ainsi collectivement. Elle n’est pas un processus de traitement de l’information, mais un processus d’individuation psychique et collective à travers lesquels les vivants intériorisent les significations déposées dans les artefacts techniques.
Nous tenterons d’expliciter ces questions et de montrer qu’elles impliquent une nouvelle conception de l’intelligence artificielle, qui ne soit plus fondée sur un paradigme analogique, qui compare les performances de l’humain et de la machine, mais sur un paradigme organologique, qui étudie la manière dont l’évolution des organes artificiels affecte, modifie et transforme les facultés mentales, psychiques, cognitives ou noétiques, ainsi que la constitution des savoirs collectifs.
Mathieu Triclot – Université de technologie de Belfort-Montbéliard
Trouble dans la grammatisation : retour à la cybernétique ; ontologie et politique de l’information
Cette communication propose de revenir aux débats internes à la cybernétique quant à la nature de l’information. La cybernétique a, en effet, adopté une représentation « physicaliste » de l’information, qui relativise la place des symboles, et donne un primat au signal. Si le symbole est caractérisé par une relation d’inscription entre forme et matière, le signal relève de l’expression d’une matière prenant forme. Cet épisode représente un « trouble dans la grammatisation », à l’origine de l’informatique et plus généralement des technologies de l’information. De plus, il se trouve que ce parti-pris physicaliste se traduit, en particulier chez Wiener, par un ensemble de prises de positions politiques. Je souhaite ainsi explorer, dans un second temps, ces liaisons entre ontologie et politique de l’information, en dégageant quelques « préceptes » cybernétiques pour une politique de l’information. Cette exploration ne peut néanmoins se faire que sous la figure de la « discordance des temps ». Les positions de la cybernétique d’origine nous interpellent tout autant par ce qui pourrait encore être actuel et applicable à la situation présente, que par la péremption qui les frappe du fait de la transformation des modes de production des sciences et techniques par rapport à la situation de l’après-guerre.
Daniel Ross – Collectif Internation
From the market of information to the pharmacology of the gift